Cette présentation, est nécessaire pour bien vous faire comprendre qu’ici vous allez être bien plus proche du chant religieux que des visuels caricaturaux de beaucoup de groupes se réclamant du viking metal. Exit donc les corpse paints, les cris typiques du black, pas de riffs ou de blast beats, ni même d’instruments électriques.
Se pose alors la question de comment décrire cette musique autrement qu’en termes purement factuels. Comment évaluer la compétence des musiciens sur des instruments datant de plusieurs siècles et dont personne ne sait réellement jouer ? Comment comparer la formation à d’autres groupes de manière pertinente quand leur démarche est absolument unique ?
On peut dire que c’est encore une fois superbement produit, que le relief et la profondeur du son sont magnifiques, que l’album file à une vitesse folle et que les 65 minutes semblent n’en durer que 10 tant la diversité et la cohérence sont au rendez-vous.
Mais, ça ne suffit pas. Parce qu’écouter WARDRUNA, c’est avant tout une expérience personnelle, intime, presque mystique. C’est une musique que l’on ressent dans l’âme autant que dans le corps. Un appel à tout lâcher l’espace d’une heure pour s’installer confortablement et prendre le temps de méditer en se laissant porter par les images et les émotions induites par la musique.
En ce sens, on est beaucoup plus proche du chant sacré que de la chanson telle qu’on la définit traditionnellement. Le morceau « Kvitravn » (« Corbeau Blanc ») par exemple, avec son premier couplet qui débouche sur des percussions quasi-rituelle et des polyphonies d’une puissance évocatrice rare, vous hantera pendant des semaines et sa beauté me fait encore frissonner après des dizaines d’écoutes. « Skugge » (« Ombre »), ressemble à une célébration nocturne, à la seule lumière d’un brasier, avec un travail sur le chant absolument sublime et une sensation que l’esprit s’est purifié lorsqu’il s’achève. « Ni » (« Neuf ») fait penser à un rite durant lequel la congrégation répond à l’officiant pour favoriser la prière.
Quant à l’imposant « Andvevarljod » (« le chant des tisses esprits »), il vient conclure l’album de la plus belle des manières en évoquant le lien entre l’âme des Hommes et le vent. Il donne la sensation d’être au milieu d’une clairière, avec pour seuls compagnons les bruits de la forêt, de l’eau et du vent, comme si tout allait être balayé par la pluie et l’orage pour mieux renaître sous une autre forme. Pour l’anecdote, la première fois que je l’ai écouté, il m’a fallu 5 minutes pour réaliser que c’était fini, tant le silence qui suit les derniers sons semble faire partie de l’expérience.
« Kvitravn » peut ainsi s’aborder de deux manières : chaque chanson peut être prise séparément pour aller chercher une image spécifique ou un passage particulier mais il peut aussi être pris comme un ensemble, un grand voyage initiatique sur lequel EInar Selvik est notre compagnon. Et aucune des deux approches n’est supérieure à l’autre, c’est là toute la force de ce cinquième opus. Il semble répondre de manière très personnelle à celui qui l’écoute et chacun en retirera ce dont il a besoin à un moment spécifique.
Etant amateur de musique sacrée, c’est dans cette direction que mon esprit est allé pour trouver des comparaisons. Que ce soit dans les mantras, les sutras, le chant grégorien ou les chant védiques, il y a toujours cet appel à simplement s’abandonner dans la musique, le rythme et le chant pour communiquer avec ce qui est ressenti mais non perçu. C’est ce que WARDRUNA fait ici, avec énormément de réussite.
Si la trilogie Runaljod était déjà incroyable de richesse et de densité, il se dégage de « Kvitravn » une sensation de profondeur insondable et de puissance réparatrice qui rapproche l’expérience de l’escalade d’une montagne au sommet de laquelle, seul face aux éléments l’esprit peut enfin entrer en communion avec toutes les forces qui l’entourent.
Je pourrais continuer à m’extasier dessus pendant des jours et des jours, tant « Kvitravn » est riche est beau. C’est un grand album qui montre que WARDRUNA est un groupe qui ne cesse de progresser et qui mérite aujourd’hui tout le succès qu’il a. Indiscutablement l’un des albums majeurs de ce début d’année qu’il vous faut impérativement écouter en ces temps troubles.
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