DIDIER « BEUBEU » BANON (1959-2019) – Le punk Français en deuil d’un de ses piliers.

Écrit par le 29 avril 2019

OTH BEUBEU 1990

Le batteur Didier Banon, figure emblématique de la scène rock Montpelliéraine des années 80, est décédé le lundi 22 Avril 2019 à l'âge de 59 ans.

Motch Beubeu OTH
BEUBEU OTH 1992
BEUBEU OTH LIVE

C’est à l’âge de huit ans que Didier « Beubeu » Banon fait la rencontre de Gilbert « Motch » Valentin. A l’adolescence, le premier se dirige vers la batterie et le second décide de prendre la guitare. En 1977, ils forment OTH (pour « On Tenter Hooks », qu’on peut traduire par « sur des charbons ardents »). Ils recrutent un chanteur harmoniciste plus âgé qu’eux : Jean-Michel « Spirou » Poisson et les frères Patillon à la basse et la seconde guitare. Ces derniers seront remplacés quelques mois plus tard par Dominique « Domi » Villebrun (guitare) et Philippe « Phil » Messina (basse). Le line-up d’OTH ne bougera pas pendant les treize années qui suivront.

A cette époque, la région Montpelliéraine dispose d’un nombre hallucinant de groupes mais de trop peu d’équipement pour les accueillir. Motch raconte : « On répétait dans le garage de notre guitariste, parce qu’il n’y avait pas de locaux de répèt. Il y avait beaucoup de groupes, mais ils s’entraidaient beaucoup pour le matos ou pour trouver des locaux pour répéter. C’était assez facile. Il y avait une bonne entente entre les groupes ».

C’est à cette époque-là que Beubeu abandonne ses études pour se consacrer uniquement à son groupe. OTH se produit pour la première fois en 1978, gratuitement, sur l’esplanade de la comédie à Montpellier. Ce concert est décrit par Thierry Salert dans son livre « Insoumission Obligatoire : Le Rock Montpelliérain » de la façon suivante : « […] Un hard rock speedé au son diaboliquement sale. Le larsen vrille, on distingue à peine la voix du chanteur, rognée par une rythmique de panzer. Putain, on n’a jamais entendu un truc pareil. Habituellement, le hard rutile par trop aux entournures pour être réellement agressif. Mais ce cataclysme bordélique fait davantage penser au « Raw Power » Stoogien fraîchement découvert, qu’aux heavy rockers Bostoniens. Pourtant Motch peut faire penser à Joe Perry. Mais Spirou grimpe sur les colonnes de la maigre sono et éructe comme l’iguane. L’harmonica feule et sature. Les titres, étonnamment concis et rapides ne laissent que peu de place aux bravades instrumentales. […] Pour bon nombre d’entre nous, cette prestation tronquée est un véritable dépucelage auditif. Intense et frustrant. Les plus âgés affichent un sourire de contenance, tentant de paraître blasés. La basse fait vibrer l’estomac et les bras frissonnent, […] Cet après-midi aux abords anodins fut révélateur. Les commentaires allaient bon train, des superlatifs émerveillés aux vaseuses considérations de pseudo musicos. ON TENTER HOOKS […] faisait du BRUIT, avec la hargne d’un tigre à la diète. Ils allaient changer les choses, ils le devaient… »

Leur premier concert « officiel » a lieu un mois plus tard au Pavillon Populaire. Là encore, le carton est total et Spirou termine sur ces mots : « La musique va s’arrêter les lumières vont s’éteindre. Le silence nous fera comprendre que nous devons partir. On s’est vendu de l’illusion. On a fait semblant de s’aimer. Une heure avec vous c’était vraiment court quand on est tout seul dans la vie. Mais nous sommes déjà en route pour l’enfer ! ».

Ils enchainent ensuite les concerts en Espagne et en Allemagne, avant d’ouvrir pour le non moins culte groupe du Havre LITTLE BOB STORY. OTH impressionne tellement les Havrais que les deux groupes seront quasiment inséparables dans l’hexagone pendant très longtemps. La légende parle même d’un bœuf géant aux Folies Bergères, et certains affirment y avoir assisté. Pourtant malgré un succès public indéniable et un bouche à oreille plus qu’élogieux, lors qu’OTH se produit au Gibus, toute la presse spécialisée s’en fout, et Rock & Folk expédie la chose en moins de deux lignes.

Dans les mois et années qui suivent, le hard rock effréné des débuts se mélange au punk le plus abrasif et le public croît de concert en concert. Avec leur infatigable manager Alain Voyer, le quintet décide de donner un concert pirate en plein cœur de Montpellier, pour faire comprendre à la ville la nécessité d’une salle dédiée au rock. Le concert sera arrêté par la police et cette interruption sera immortalisée par plusieurs photographies, dont l’une servira de pochette à leur première cassette audio « Classé X », éditée à 200 exemplaires et enregistrée sur un 4 piste en 1981. L’action coup de poing aura son retentissement local.

L’année suivante, paraît le 45 tours « Musique Atteinte / Voyou Vaudou ». Celui-ci rencontre un accueil mitigé, à cause d’une production trop froide, qui ne tient pas la comparaison avec la puissance de leurs concerts. A cette époque, seul TELEPHONE avait encore les faveurs de la critique et du public Français. Pour les groupes de rock, pas d’autre choix que de s’assagir sinon c’est la mort. A contre-courant de tout ça, OTH transforme sa ville en bastion Punk, Spirou allant même jusqu’à graver « OTH Pestiférés » sur sa veste. Il dira plus tard :
« Tout ce qu’on peut gagner par la musique est réinvesti. On a bien essayé de faire du fric autrement : en bossant ou en magouillant ; mais ça ne marche pas, on est bon qu’à ça. »

Ils finissent par dégoter une ancienne usine et un entrepôt désaffecté, qui deviendra leur QG. Leur nouveau combat sera d’en faire une salle de concert. Le squat deviendra un lieu privilégié de la culture des marginaux de la région, entre traines savates, artistes et adolescents fugueurs. A tel point que Paris Match y consacrera un article « Rock Gaulois », pour faire un état des lieux du rock français. Mais pour OTH, pas question d’en rester là, il leur en fallait plus.

Le 21 mai 1982, alors que la nouvelle gare de Montpellier est inaugurée par le ministre des transports Charles Fiterman et le maire Georges Frèche, tout ce que Montpellier compte de rockeurs en tout genre, OTH en tête, décide de marcher sur la gare, sans violence ni casse, pour à nouveau réclamer leur salle de concert. La manifestation fonctionne et la mairie installe l’électricité et le téléphone dans le QG. Mais les conditions du squat ne permettent pas d’en faire une salle de concert et le groupe repart au combat.

En Février 1983, OTH remporte une nouvelle bataille. La mairie décide d’accorder sa maison au rock. Située en plein centre-ville, elle peut accueillir 1300 personnes. Baptisée « Salle Victoire », elle est à disposition des associations 5 jours par semaine et de la mairie les deux restants. Inaugurée en grande pompe, malgré une acoustique pitoyable, elle servira de bastion à la culture alternative de Montpellier et sa petite sœur « Victoire 2 » est toujours en activité aujourd’hui.

BEUBEU DOMI PHIL SPI MOTCH

Le quintet publie « Réussite », son premier album en 1984. Le tout est autoproduit grâce à leurs économies et à l’apport de proches du groupe. Au cours de sessions de mixage express (36h, tout compris) particulièrement houleuses, la faute à des prises de sons trop « froides », le groupe réussit tout de même à trouver sa marque de fabrique : intense, désincarné et cruellement urbain. Si la plupart des morceaux ont déjà été joués en concert, le son froid, notamment de la batterie, place OTH parmi les plus reconnus et respectés des groupes de punk français.
Mais les cinq musiciens en veulent toujours plus et concrétisent leur rage et leur soif de combat avec « Sur Des Charbons Ardents », produit par le non moins culte Rémi Ponsar, et sur lequel Beubeu s’avère une nouvelle fois magistral. Avec des sessions plus longues et une plus grande liberté de création, la formation Héraultaise tient enfin son chef d’œuvre, porté notamment par le tube « Le Rap Des Rapetous », qui inspirera les inconnus.

Après une tournée en compagnie de BERURIER NOIR, et une apparition sur la compilation « Mon grand frère est un rockeur » de François Hadji Lazaro, ils rempilent en studio pour leur 3ème album. « Sauvagerie » est enregistré avec Laurent Thibault (ex-MAGMA). Les sessions sont surtout marquées par les colères répétées de Beubeu, alors qu’il surprend régulièrement des techniciens entrain de lire leur journal en plein enregistrement. Cet opus impose OTH, aux côtés des derniers vrais keupons, avec la SOURIS DEGLINGUEE, PARABELLUM et OBERKAMPF.

Les premières dissensions apparaissent à cette époque-là, notamment à cause de l’émergence du projet parallèle de Phil et Spirou : LES NAUFRAGES, qui marie l’amour du punk à la chanson bretonne. Mais c’est en 1990, avec la sortie de l’album « Explorateur », que tout part en vrille.

Forcé de changer de producteur à cause de calendriers incompatibles, OTH travaille avec un certain Martyn Watson, qui avait notamment travaillé avec JOAN JETT. Si le leitmotiv est de cette fois-ci favoriser les chansons au détriment du reste, les méthodes de travail de Watson, à base de prises de riffs, d’insertions de claviers et aération des guitares, tranchent avec l’idée même derrière OTH. Les sessions sont extrêmement tendues, et virent à la paranoïa constante. Après les sessions, les cinq compères laissent à Watson carte blanche pour le mixage. A cette occasion, Beubeu dira : « Vous n’aimerez pas mais toutes les chansons sont bonnes ». Quand il écoute le mix final, c’est la catastrophe : c’est mauvais. Le batteur fait un test, en diffusant incognito un morceau au Rockstore et la conclusion est sans appel : personne ne reconnaît OTH. A cause du coût initial, impossible de le remixer.

La sortie de l’album se fait dans la douleur et les héros montpelliérain sont dégommés autant par la presse que par leur public, qui prend cet opus pour une trahison. Ce qui aurait dû être une apogée, tourne au naufrage et OTH ne s’en relèvera pas. Après une tournée difficile, la formation donne ses deux derniers concerts les 12 et 13 décembre 1991 au Rockstore à Montpellier et se sépare après 15 ans de lutte, de bruit et de sueur.

Beubeu déclare peu de temps après cette séparation : « On n’a jamais voulu s’occuper du showbiz. A tort je crois… Avec un résultat final merdeux. On s’est fait berner. […] A l’arrivée, on s’est fait berner par des producteurs qui ont fait leur petit business. […] »

Après cette séparation, Beubeu rejoint LES NAUFRAGES et fait la rencontre du compositeur montpelliérain PASCAL COMELADE.

Ecumant les routes de France et d’Europe, les NAUFRAGES publieront 5 albums et 1 live entre 1990 et 2002 avant une pause de onze ans, pour que certains membres se consacrent à des projets parallèles. Beubeu ne fera pas partie de la reformation en 2013.

Avec PASCAL COMELADE, il intègre le « Bel Canto Orchestra » puis le « Nouvel Orchestre » et fait partie de la foultitude de musiciens de sessions auxquels ce dernier fait appel pour ses différents albums. Sous son nom complet, Didier Banon apparaîtra sur tous les albums de Comelade entre 1989 et 2015.

En 2014, pour un documentaire de France 3 Languedoc, il revient sur sa carrière au sein d’OTH.

Assurément un des pionniers du rock alternatif en France, avec une carrière à la trajectoire aussi étonnante que variée, Beubeu restera pour toujours le batteur d’un des groupes de punks les plus intenses et sous-estimé que la France ait jamais connu. Décédé le 22 avril 2019 des suites d’un cancer à l’âge de 59 ans, celui qui déclarait en 1992 « La batterie j’en ferais toujours, je suis avant tout un musicien. », laisse orpheline toute la scène punk actuelle. Merci Beubeu, on continue le combat.

Sources : « Insoumission Obligatoire : Le Rock Montpelliérain (1978-84) » et « 1460 Nuits : Le Nouveau Testament Montpelliérain (1984-91) » par THIERRY SALTET, « Confidences de Beubeu batteur OTH » par Oeil Malin Video et le site http://www.oth-legroupe.net dont je remercie tout particulièrement les rédacteurs.


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