Mais l’erreur qu’il ne faut surtout pas commettre ici c’est de considérer que « The Machinists Of Joy » est soit un album d’électro, soit un album de métal. Cette impression peut être évidemment fournie par certains morceaux comme l’excellent « Risikofaktor », qui lorgne vers l’indus le plus froid et le plus électronique que j’ai entendu depuis un moment et s’avère être un tube absolu de dancefloor et celui qui lui est opposé en tout point : « Im Falschen Land » sur lequel la batterie est soutenue par un gros riff bien gras et un son qui fera baver l’intégralité des fans de RAMMSTEIN.
Parce que si ces deux titres ne montrent qu’une seule facette du groupe de Düsseldorf , ils excellent aussi dans la synthèse des deux genres, et les monstres absolus que sont « Robo Sapiens », « Essenbeck » et « Nocebo » sont là pour le démontrer. Impossible d’écouter ces morceaux sans être pris d’un sentiment de puissance et de domination totale. On ne peut pas parler ici des instruments et des musiciens séparément, DIE KRUPPS apparait comme une seule chaine de production musicale, impériale et indissociable. Les samples, les claviers, la guitare et les machines se mélangent à la perfection. Essayez simplement de prendre « Schmutzfabrik » et de faire le détail de tout ce qu’elle utilise… Chaque note ne semble exister que grâce aux autres, augmentant ainsi le sentiment d’unité de cette chaîne d’ouvriers en tout point parfaite.
A peine pourra-t-on commenter la voix de Jürgen Engler, qui se fait aussi froide, distante et martiale que possible. Agissant en sorte comme le contremaître de l’usine, il semble donner ses directives à la chaîne et si son timbre particulier peut dérouter aux premières écoutes, vous serez forcément hypnotisés par celui-ci dès que vous atteindrez « Nocebo ». Accentuant les syllabes qu’il faut, marquant le rythme qu’il faut, on a effectivement totalement l’impression qu’il est celui qui mène tous les autres éléments du trio dans le morceau. Pas pour rien qu’il sert de modèle à un certain Till Lindemann en fait. AH si si, il vous suffit d’écouter le magistral « Im Schatten Der Ringe » pour juste vous incliner devant une telle maestria vocale. Ce n’est pas technique, mais le sens du rythme de l’allemand impose le respect.
Les thèmes abordés par DIE KRUPPS tournent souvent autour de l’industrialisation et la déshumanisation de la société, et cet album ne fait pas exception à cette règle. On passe d’une critique de l’industrie de l’armement « Schumtzfabrik » signifiant « Usine de crasse », à un constat alarmant sur la robotisation de la société sur le froid et glauque « Robo Sapiens » et à une chanson d’amour entre un ouvrier et sa machine (« Eiskalter Engel »). Un conseil donc, faite un petit détour par la case « lecture des paroles » pour profiter au maximum de cet album (surtout pour comprendre l’histoire de la famille Krupps/Essenbeck, figure majeure de l’industrie allemande). Mais même si les chansons sont toutes excellente, le travail de Chris Lietz à la production est à saluer. Parce qu’il délivre ni plus ni moins que la meilleure production de l’année. Chaque note possède à la fois une puissance unique et une pureté cristalline magistrale. Il réussit le tour de force de nous donner l’impression de rentrer dans un monolithe sonore qui pourtant n’est jamais étouffant.
En définitive, « The Machinists Of Joy » est une bombe que l’on n’attendait pas. DIE KRUPPS nous offre ici un album d’une richesse terrifiante que les mots ne permettent pas de décrire parfaitement. Chaque morceau est un maillon magnifique d’une chaîne quasi-parfaite, et contribue à cette réunion du punk de leur début, de l’EBM de leur évolution et du métal de leur apogée. Un album majeur, à écouter tout simplement.
P.S. : La pochette est un hommage à celle de « Metal Machine Music » de LOU REED, énorme influence du mouvement indus.